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Skellig Michael – les ruines d’un monastère isolé au sommet de l’île aux macareux
Posté le Samedi 21 août 2010dans Falaises, Irlande, Océan, Pays, Préhistoire, Ruines, UNESCO, village, Îlespar Alexandre RosaImprimerIl est des endroits sur cette terre d’où l’on ne revient pas indemnes. Il en est ainsi des îles Skellig, un petit archipel situé au sud-ouest de l’Irlande, au large de la péninsule d’Iveragh, dans le Comté de Kerry. Aucune grande ville en vue, pas d’habitants, de route ou de port : les îles Skellig ne sont habitées que par des nuées d’oiseaux.
Pour s’y rendre, il faut prendre le bateau depuis Portmagee, un petit village de pêcheurs déjà reculé, puisque seule une piste de gravier longue de plusieurs dizaines de kilomètres y mène. Mais surtout, les îles Skellig constituent un véritable sanctuaire protégé par l’UNESCO et le gouvernement irlandais. Des deux îles qui composent l’archipel, Little Skellig est même carrément interdit aux visiteurs. Quant à Skellig Michael, la plus grande, il n’est possible de la visiter qu’en réservant longtemps à l’avance auprès de l’un des marins vivant à Portmagee. Certains organisent des traversées limitées à 12 passagers, et ce une fois par jour uniquement.
Il faut environ une heure pour parcourir les 19 kilomètres séparant Portmagee de Skellig Michael. Culminant à 210 mètres au-dessus de la mer, cette île aussi appelée Great Skellig fait d’abord penser à Skull Island, celle où vit King Kong dans le film de Peter Jackson (2005). Il faut dire qu’avec ses falaises escarpées plongeant dans l’océan, ses rochers affutés et ses récifs partout présents, on se demande presque comment il va être possible d’accoster.
Seule une courte jetée en pierres côté Est permet de mettre pied à terre sur l’île et donc pour les bateaux de déposer les visiteurs avant de repartir aussitôt. La grande houle permanente de l’Atlantique limite en effet fortement les possibilités d’amarrage. Un appontement dans l’anse nord semble avoir été utilisé mais est actuellement détruit. Heureusement pour nous, un phare a en effet été construit ici au début du 19ème siècle, et un chemin praticable fut dégagé pour y accéder. Il faut dire que nous sommes là au point le plus à l’ouest de l’Europe, à égalité avec les îles Blasket (10° 32′ ouest), un peu plus au nord de la long de la côte irlandaise.
Sans ces aménagements, il serait aujourd’hui bien difficile d’accéder à Skellig Michael, qui abrite pourtant un véritable joyau historique en Europe. A son sommet se trouvent en effet les ruines d’un ancien monastère fondé par saint Finian au 6ème siècle et installé proche du point culminant de l’îlot. Ce serait, de fait, une des toutes premières communauté monastiques chrétiennes d’Europe occidentale. Il est classé depuis 1996 au Patrimoine Mondial de l’Humanité par l’UNESCO.
Plus de 680 marches taillées dans la pierre par ces reclus mènent aux ruines de l’abbaye Saint Finian. Cette structure monastique, particulièrement retirée, comporte six cellules circulaires, deux oratoires, des croix, des tombes, le puits de Saint Brendan et une église de construction plus récente dédiée à Saint Michel. Les constructions sont dans le plus pur style celte (similaire à l’Oratoire de Gallarus dans la péninsule de Dingle notamment) faites de pierres sèches empilées sans mortier avec une pente vers l’extérieur et disposées là en cercles, ce qui leur donne un aspect de "ruches" (beehive hut) appelées Clochan en gaëlique. Leur technologie renvoie leur édification aux environs du 9ème siècle.
Cependant, des doutes peuvent être émis sur leur date réelle de construction. Comment ces constructions en pierres sèches assemblées sans mortier et restant sans entretien dans un environnement plutôt hostile (notamment à cause des fortes tempêtes de l’Atlantique nord), ont-elles pu résister 1.500 ans ? Une hypothèse avance qu’elles auraient pu être construites (ou seulement reconstruites) au 19ème siècle par les ouvriers qui ont construit les phares…
Toujours est-il que pendant les cinq à six siècles qui suivirent son installation vivra sur ces falaises abruptes une toute petite communauté de moines. Celle-ci vivait dans le dénuement le plus complet, subsistant sans doute de pêche et des quelques légumes qui pouvaient pousser sur un champ en forte pente. L’absence quasi totale d’écrits à propos de ce monastère laisse beaucoup d’incertitudes à propos de la vie sur cette île.
Les seuls documents sont ceux retrouvés dans l’abbaye (en ruines) de Balinskellig, noyau "continental" de la communauté monastique quand elle s’y fut repliée. Des textes du 18ème siècle laissent à penser qu’ils pouvaient être 12 moines et un abbé mais, en considérant les très faibles ressources naturelles, on imagine la difficulté pour tant de personnes de survivre avec si peu de ressources.
La communauté, secouée régulièrement par des incursions de vikings (on en dénombrerait au moins trois) abandonna la présence permanente vers le 12-13ème siècle. Une période de refroidissement climatique, incluant une fréquence accrue de tempêtes, semble avoir provoqué l’aggravation des conditions de vie et la raréfaction des échanges avec le continent.
Ce que l’histoire ne dit pas, c’est comment les moines qui vivaient ici ont pu construire leurs huttes au sommet de la montagne alors même que l’escalier qui y menait n’existait pas encore? On peut en effet supposer que ce dernier a été construit en second, sans quoi les ermites qui vivaient ici dans des conditions plus que spartiates n’auraient pas eu de toit sous lequel passer la nuit pendant les travaux. L’escalade a en tout cas dû être rude aux origines de la colonisation de l’île.
L’île finit par devenir un simple lieu de pèlerinage, notamment pour les retraites spirituelles d’été des moines. Une foule régulière de pénitents venait aussi en bateau de la côte de l’Irlande s’y purifier et espérer la guérison de certaines maladies. Vers le 17-18ème siècle, c’était aussi semble-t-il le rendez-vous des futurs époux qui venaient là échanger leurs promesses. En effet, après le concile de Latran qui interdisait le mariage pendant le carême, et l’instauration du calendrier grégorien qui se fit par étapes, Skellig Michael fut un lieu de mariage pour les jeunes couples qui pouvaient y convoler à leur guise du fait du maintien du calendrier julien sur l’île.
Au 19ème siècle, un double phare y fut donc érigé (1821-1826), culminant l’un à 53 mètres au-dessus de la mer, l’autre à 121 mètres. Les gardiens représentèrent à nouveau une présence humaine permanente sur l’île. En 1870, le phare supérieur fut éteint, n’étant plus nécessaire grâce à la construction du grand phare d’Inishtearaght dans les îles Blasket, à 22 miles au nord des Skelligs. Profondément remanié en 1967, sa puissance augmentée, il fut automatisé, en 1987, rendant l’île à sa solitude et mettant fin à nouveau à plus de 1.300 ans d’occupation humaine discontinue de l’archipel.
Aujourd’hui, outre la jetée utilisée notamment par les touristes, une petite zone d’atterrissage pour hélicoptère permet de garantir un accès pour la maintenance du phare. Elle sert également aux hélicoptères des pompiers pour évacuer les visiteurs un peu trop imprudents qui nécessiteraient un transfert d’urgence vers l’hôpital. Un règlement tendant à limiter l’accès à Skellig Michael à des scientifiques est toutefois envisagé pour préserver le fragile éco-système.
Cependant, comme seuls des petits bateaux peuvent approcher, et encore seulement quelques dizaines de jours par an lorsque le temps le permet, l’île est, de fait, un sanctuaire d’oiseaux, notamment d’innombrables macareux moines. On en compterait 4.000 uniquement sur Skellig Michael. C’est le second trésor de ces îles.
Réputé pour leurs colonies d’oiseaux marins, l’archipel des Skelligs constitue donc l’un des sanctuaires les plus importants d’Irlande, tant par le nombre d’oiseaux que par la diversité des espèces. Les deux sites abritent des colonies de fous de Bassan, de Fulmars, de puffins des Anglais, de mouettes tridactyles, de guillemots de Troïl, de petits pingouins et de macareux moine. Cohabitent également mais dans une moindre mesure des craves à bec rouge et des faucons pèlerins.
Des animaux marins vivent dans les eaux environnantes. Parmi eux, des phoques gris qui trouvent refuge au pied de Little Skellig, des requins pèlerins, des baleines de Minke, des dauphins et des tortues luth. Les îles possèdent différents sites de plongée présentant un intérêt du fait des eaux claires, de l’abondance des espèces à observer et des falaises sous-marines allant jusqu’à 60 mètres de profondeur. Nous n’avons toutefois pas été jusqu’à visiter cette partie-là du site.
Mais c’est surtout que Little Skellig, la plus petite des deux îles de l’archipel, que les oiseaux prolifèrent. Elle n’a en effet jamais été habitée et reste interdite aux visiteurs. L’accès en reste de toutes façons extrêmement difficile compte tenu de la configuration des lieux (pentes abruptes et absence de port). Elle accueille des macareux, des goélands, des guillemots, des pétrels et la plus grande colonie de fou de bassans d’Irlande avec approximativement 20.000 couples.
Pendant les périodes de nidification, des pans entiers de l’île apparaissent blancs tant la concentration de ces oiseaux est forte. Une colonie de phoques trouve même refuge au pied de l’île. Pourquoi tout ce petit monde viendrait vivre ici? Outre une protection naturelle contre les prédateurs offerte par la présence des falaises, l’abondance de poissons dans les eaux entourant les Skelligs suffit à attirer les oiseaux.
Nous avons particulièrement apprécié notre rencontre avec les macareux, des oiseaux de légende que nous avions manqué plusieurs fois déjà lors de nos passages dans les îles de l’Atlantique Nord, en Islande notamment (le macareux est tout de même le symbole du pays!). Contrairement aux oiseaux auxquels nous sommes habituées en France, celui-ci vit la plupart de son temps en haute mer. Comme il ne revient à terre que lors de sa reproduction, il est très difficile de l’apercevoir pour qui ne possède pas de bateau.
De plus, il ne construit pas de nid, mais se creuse un terrier dans les pentes herbeuses qui abondent dans cette région du globe. Il faut donc avoir l’œil pour l’apercevoir, d’autant que cet oiseau également symbole de la LPO (Ligue de Protection des Oiseaux)migre très tôt vers le sud, en général début août. A l’instar du pingouin, il se déplace en position debout. De la taille d’un pigeon, sa silhouette rondouillette et ses couleurs chatoyantes lui donnent un air fort sympathique qui fait sa popularité. Il n’en reste pas moins menacé.
Si l’envie vous prend de tenter le voyage jusqu’à Skellig Michael, n’oubliez pas de vous y prendre en avance et de choisir une saison propice aux traversées, car nombre de journées sont fermées à la navigation tant les conditions sont difficiles. Nous y avons d’ailleurs laissé quelques plumes. Quand on pense que qu’un sportif du nom de Robert Bohane est tout de même parvenu à rallier Portmagee depuis Skellig Michael à la nage le 30 juillet 2007, on ne peut que saluer la performance. Il lui aura fallu 6 heures et 29 minutes pour traverser les 18,7 kilomètres de mer déchaînée. Gageons que les moines ne sont pas arrivés de la même manière…
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Article et photos par Alexandre Rosa
Reportage vidéo par Alexandre Rosa et Laetitia Bachellez
Montage par Stéphane Hacquin
© TravelPics.fr – Juillet 2010