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Interview de Julie Taymor, metteur en scène du musical du Roi Lion au Théâtre Mogador

Posté le Lundi 03 novembre 2008dans Disneyland Paris, Le Roi Lion, Théâtrepar Alexandre RosaImprimerText Resizer Text Resizer

Toujours pour célébrer le premier anniversaire du musical Le Roi Lion au Théâtre Mogador à Paris, j’ai décidé exceptionellement de republier un article que j’avais à l’époque écrit pour DLRP.fr. Il s’agit là du premier article que j’aie écrit sur le sujet de ce musical, en février 2007, juste après la première conférence de presse organisée à l’époque pour présenter le spectacle aux journalistes et au public français. Nous avions même fait une vidéo pour l’occasion. Je vous laisse la regarder ci-dessous, avant de profiter de l’article d’archives. Souvenirs…

« Hier mardi 6 février 2007 a été organisée la première conférence de presse annonçant l’arrivée du musical Le Roi Lion au Théâtre Mogador dès le mois de novembre prochain. Pour l’occasion,
le metteur en scène d’origine américaine Julie Taymor était à Paris lundi et mardi pour répondre aux questions des journalistes. Nous avons eu de la chance de pouvoir la rencontrer.

Car Julie Taymor n’est pas n’importe qui! Non contente de s’occuper de la mise en scène du musical, elle a également dirigé le design des costumes, le co-design des masques et des marionnettes, et elle est auteur des paroles additionnelles des chansons spécialement composées pour le musical de Broadway. Elle a reçu un Tony Award pour la meilleure mise en scène d’un musical en 1998, et la même année pour les meilleurs costumes. Mais elle n’en était pas à son coup d’essai. Elle a fait ses premiers pas sur une scène de théâtre dès l’âge de 10 ans. Mais elle est surtout connue pour son premier opéra Oedipe Roi de Stravinski qu’elle a monté au Japon en 1992. Après La Flûte Enchantée de Mozart pour le Maggio Musicale de Florence en 1993, Julie Taymor a signé son premier long métrage en adaptant au cinéma Titus de William Shakespeare où elle a dirigé les deux acteurs oscarisés Anthony Hopkins et Jessica Lange. Elle a ensuite dirigé Salma Hayek dans Frida (2001).

On comprend en étudiant son oeuvre que Julie Taymor est une artiste à part. Très talentueuse et distinguée à de nombreuses reprises, c’est le 13 novembre 1997 qu’elle a présenté au public la première de son musical Le Roi Lion à Broadway, l’avenue New-Yorkaise connue pour ses pectacles. Produit par Disney Theatrical Productions, le musical de Broadway est toujours à ‘affiche du Théâtre Minskoff après dix années d’un succès qui ne s’est jamais démenti.

Il est important, avant de commencer à entrer plus en détails dans la présentation du Roi Lion, de comprendre qu’il s’agit là d’un « musical de Broadway », à l’opposé d’une comédie musicale. Les spectacles de Broadway ont toujours été célèbres pour leur qualité et leur mise en scène si particulière. En outre, dans un musical, les interprètes chantent, dansent et jouent la comédie sur scène, accompagnés d’un orchestre. Ce n’est pas forcément le cas pour une comédie musicale, qui se veut plus divertissante et qui utilise la plupart du temps une bande sonore enregistrée.

L’oeuvre de Julie Taymor témoigne de son sens du détail. Son musical du Roi Lion est, si vous voulez, du même niveau qu’un opéra. C’est du divertissement haut de gamme, loin des comédies musicales populaires dont les interprètes n’hésitent pas à faire leur promotion dans des émissions médiocres du PAF. Le spectacle La Légende du Roi Lion de Vidéopolis à Disneyland Resort Paris peut à première vue donner dans le même registre à cause des costumes qui laissent également apparaître l’apparence humaine et stylisée des performers, mais il n’en est rien. C’est ce que Julie Taymor nous a expliqué lors de cette conférence de presse.

Nous avions proposé, quelques jours avant la conférence, aux membres du forum de DLRP.fr de poser les questions qu’ils voulaient à Julie Taymor. Seules trois questions ont pu être posées par l’ensemble des journalistes pendant la conférence. Et parmi ces trois, nous avons pu poser celle d’Audrey postée dans notre forum. La réponse sera visible dans les jours qui viennent dans un reportage où vous pourrez visualiser une grosse partie de la conférence de presse. En attendant, nous avons retranscrit l’intégralité de l’interview de Julie Taymor concernant le musical du Roi Lion ci-dessous, traduite en français.

Bonne lecture!

Julie Taymor : Je suis très contente d’être ici avec vous mais c’est difficile pour moi de parler en français. J’ai étudié le mime il y a trente ans mais ce n’est pas nécessaire de le parler : seul le mouvement importe. Alors s’il vous plaît, permettez-moi de parler en anglais aujourd’hui.

A partir de là la discussion s’est poursuivie en anglais, l’animatrice traduisant en simultanée les paroles de Julie Taymor, ndlr.

Animateur : Après avoir découvert votre oeuvre au théâtre et au cinéma, on se rend compte que Le Roi Lion semblait très éloigné de votre univers en 1997. En quoi cette aventure vous a t-elle intéressée? Comment adapter un film animé, mais aussi un tel succès au théâtre?

Julie Taymor : Eh bien je n’avais pas vu le film quand on m’a proposé de participer à ce projet. J’ai vu le dessin-animé et j’ai trouvé que l’histoire était intéressante à raconter. La simplicité du récit associé aux thèmes du fils prodigue et du rite de passage m’ont attiré. Mais par dessus tout j’aime les défis. Et c’en était un que de prendre une image en deux dimensions pour la transporter dans l’univers 3D d’une scène de théâtre. Il fallait trouver ce que le théâtre pouvait faire de mieux que le film.

Animateur : Comment réussit-on à ne pas compromettre sa vision face à un géant tel que Disney?

Julie Taymor : Immédiatement, nous avons convenu que le style esthétique du musical serait le mien. Mon style n’a en effet rien à voir avec celui d’un film Disney, très lisse. Vous avez certainement vu l’affiche du musical du Roi Lion et elle reprend l’effet créé par un tampon en bois japonais. Je voulais vraiment que ça se ressente tout de suite, cet aspect fait-main avec des fibres de bois visibles. Et même pour les personnages, je savais dès le départ que je pourrais en créer ma propre version.

Il y avait trois aspects dans cette aventure : l’histoire, la musique et le visuel. Comment raconter l’histoire? Ils étaient d’accord pour me laisser la développer et en faire un récit plus complet, en particulier en ce qui concerne la seconde partie du spectacle. Vous verrez, cette partie fait de l’histoire un conte beaucoup plus sombre où le jeune lion doit vraiment se battre pour reprendre son droit de devenir roi.

En ce qui concerne la musique, il y a bien sûr les superbes chansons d’Elton John mais aussi les chants africains écrits par Lebo M, un compositeur sud-africain. Nous étions tous d’accord pour amener plus de tons africains, très puissants, dans le spectacle au travers des compositions de Lebo M avec ses chorales, y compris en gardant la langue de ces chants. Le musical n’allait donc pas être qu’en anglais mais aussi comporter du zulu et beaucoup d’autres langues qui apportent
réellement quelque chose au travers de la musicalité de ces langues. En France, ce sera pareil : les chansons et dialogues seront en français mais ce qui était en langue africaine dans la version anglaise restera intact.

Si vous regardez le film, vous verrez un Jeremy Irons au meilleur de sa forme jouant le rôle de Scar. Vous savez, il a ce visage fabuleux et ces dialogues incroyables (elle fait la moue et prend un air hautain). Mais c’est un problème pour nous car finalement, l’être humain… l’humanité de ce personnage est à l’intérieur de l’animal, dans le personnage animé. Mon défi était donc de lier l’animal et l’humain sur scène en même temps. Je ne pouvais pas mettre un masque de lion sur le visage d’un acteur au risque d’en perdre l’humanité. Je devais trouver un moyen, parce que c’est une fable! Comment trouver cette dualité?

Ce que j’ai essayé de créer, c’est ce que j’appelle un double event (double évènement). Cela signifie que vous regardez en fait l’humain et l’animal en même temps. En plaçant les masques au-dessus de la tête des performers, on ne cache pas leur visage. On garde toutes leurs
expressions visibles, derrière du maquillage adapté. La partie humaine du personnage est là. Le corps, lui, est une version stylisée du lion. Bien sûr, il n’est pas poilu, il ne marche pas à quatre pattes mais il est capable de bouger comme s’il avait une canne. C’est sa troisième jambe, que l’on retrouve dans de nombreuses cultures africaines. Avec cette troisième jambe, il peut bouger comme s’il était blessé, ou bien se redresser en s’appuyant sur sa canne avec un air fier et dédaigneux.

Les masques (elle montre celui de Scar, exposé sur la scène quelques mètres plus loin) comme celui-ci sont très tordus. L’acteur doit donc trouver une manière de se mouvoir très sinueuse avec la canne, sa jambe. Mais quand le personnage est furieux, il peut se pencher en avant jusqu’à l’horizontale, ce qui a pour effet de faire déplacer son masque en alignement avec sa colonne. C’est une position très animale, avec le masque qui prend le dessus par rapport à l’humain. Mais soudain, si l’acteur se relève, le masque reprend sa place au-dessus de sa tête comme s’il disait « Oh non non non je ne vais pas faire ça, la violence n’est pas pour moi!« . Ainsi, on peut créer cette dualité, ce « double-event » grâce au mouvement, la voix et l’aspect visuel.

Animateur : Il y a bien sûr cette dualité homme/animal, mais le Roi Lion a aussi une esthétique très particulière grâce à votre vision, Julie Taymor. J’aimerais que vous nous en parliez.

Julie Taymor : L’idée du « double-event » ne consiste pas juste à avoir un masque animal et un visage humain. Cela concerne aussi votre manière d’aller au théâtre. Nous y racontons une histoire souvent très familière. Ce qui est important, c’est la manière dont nous la racontons. C’est ce qui la rend unique, et sa mise en scène peut la rendre aussi émouvante que l’histoire en elle-même. Lorsque que l’on cherche à passer d’un film à un spectacle théâtral, on cherche à exploiter la poésie du théâtre. C’est celle qui fait que vous savez que vous êtes dans une salle quelque part mais que vous êtes prêt à laisser votre incrédulité de côté pour vous laisser emporter dans la savane africaine. Vous voulez que la vision de l’artiste l’emporte sur la réalité, contrairement à ce qu’il se passe devant la télévision ou au cinéma. Quand on voit Titanic avec tous ses fonds bleus, non ça ne marche pas!

Au théâtre, on fait la démarche de s’y rendre. On accepte de voir la magie exposée devant nous. Vous voyez derrière moi une des premières maquettes que j’ai élaboré pour le musical du Roi Lion que j’ai appelé la « roue à gazelles » (ci-contre, ndlr). Le principe nécessite que quelqu’un pousse le mécanisme à travers la scène, de façon tout à fait visible. Et au fur et à mesure que les
roues tournent, on voit les gazelles sauter. Les marionnettistes traditionnels seraient cachés derrière un rideau noir et on verrait (elle mime) les gazelles sauter au-dessus comme ceci… Et on veut nous faire croire que c’est réel! (la salle entière rit) Mais on sait bien qu’il y a quelqu’un dessous! Ca nous empêche de rentrer dans la magie du spectacle.

Nous avons décidé de nous ouvrir et d’exposer les mécanismes utilisés pour Le Roi Lion aux spectateurs. Non seulement ils sont jolis, mais ils sont également le symbole de tout ce qu’est le spectacle : le cycle de la vie… ces roues qui tournent. En une image, sur ce simple exemple, vous pouvez comprendre toute l’histoire. Vous voyez comme c’est un rituel d’avancer vers la droite de la scène pour apporter la lumière. Cela vous donne le thème du cercle, comme dans tous les bons musicals ou les bons opéras. Mais vous n’avez pas besoin de le réaliser tout de suite. Vous le sentez intérieurement au début et ça arrive à votre conscience petit à petit. Mais c’est toujours là, enfoui en vous.

C’est ça le grand pouvoir du théâtre, que la télévision et le cinéma n’ont pas. C’est ce qu’on a de plus, et pourtant j’adore faire des films. Nous avons le pouvoir d’être poétiques tout en sachant que le public comblera les vides. Le public sait, quand il voit des prairies, que « oui, j’ai compris, on est dans la savane!« .
Vous n’avez pas besoin de dessiner le moindre détail parfaitement avec des effets spéciaux etc… J’arrive à faire comprendre les choses au public en les suggérant.

Animateur : Ce qui est intéressant dans votre approche, c’est que la perspective vient du jeune Simba mais que les rôles de femmes sont aussi bien plus forts et présents que dans le film. Pourquoi ce choix?

Julie Taymor : Dans le film, il n’y avait pas de rôle féminin majeur. C’est un conte de fées classique et la mère doit nécessairement être laissée de côté! Si la mère de Simba n’était pas mise à l’écart, Simba n’aurait pas vécu son aventure! Mais dans un musical, il faut trouver cette présence sipuissante de la femme. J’ai donc eu l’idée d’utiliser le personnage de Rafiki. Il représente le shaman que l’on peut trouver dans les tribus sud-africaines. Il ne se contente pas du rôle que Rafiki a dans le film. Cela va plus loin. Ella a un rôle comique tout en étant le leader spirituel de la communauté des lions. Elle est donc très drôle mais elle a aussi le pouvoir de nous plonger dans l’histoire ou de nous en sortir sans avoir besoin de trop parler, rien qu’en utilisant certains dialectes que vous ne comprenez pas, mais que vous comprenez tout de même.

Animateur : Vous mettez beaucoup de théâtre dans vos films et beaucoup d’énergie cinématographique dans votre oeuvre théâtrale. En quoi cela se retrouve t-il dans le musical du Roi Lion?

Julie Taymor : La différence entre le travail sur un film, où l’on utilise la projection ou tout autre outil du cinéma, c’est la manière de penser l’action dans l’espace. Dans la scène d’introduction du musical, tous
les animaux, tous les personnages sont là, et vous voyez les êtres humains en eux… toujours! Ils arrivent de tous les côtés et on casse ce côté deux-dimensionnel immédiatement. Le public se retrouve entouré par quarante personnages dansant et chantant en arrivant vers eux, créant un superbe panorama : la savane toute entière avec le Rocher du Lion… sur scène. C’est le cycle de la vie, la grosse chanson!

Puis, dans la scène suivante, on a besoin de faire sortir tous ces animaux, alors on fait descendre un rideau noir très près du bord de la scène et une petite marionnette en ombre chinoise apparaît en son centre : une petite souris avec une petite lumière. Soudain, le public se concentre sur ce point précis. Voilà comment passer d’un énorme panorama à un minuscule gros plan sur une larme coulant sur une joue : ce que l’on peut faire dans un film, on peut donc le faire au théâtre! Mais il faut trouver la bonne technique théâtrale pour y parvenir. J’utilise différentes techniques. Je pense notamment à la manière dont le Rocher du Lion tournoie en sortant du sol. C’est comme si une caméra s’élevait. Il faut jouer avec les échelles, les distances. Si vous voulez faire un gros plan sur Mufasa, il suffit de faire un masque géant suspendu dans le ciel au-dessus de la scène. Nous ne sommes pas limités par la taille d’un humain ou d’un visage.

En plus des animaux, l’autre chose qu’il fallait entièrement créer était le paysage. J’ai trouvé bien que des êtres humains puissent également jouer le rôle du paysage. Vous avez par exemple ces danseurs qui portent sur leur tête les sols herbeux. Avec cela, on peut simuler un véritable voyage sur scène : les danseurs peuvent sortir du sol et l’herbe se déplacer avec eux. A un certain moment, nous avons des marionnettes miniatures de Scar et Mufasa avançant au ralenti au travers des herbes hautes. On a ainsi l’impression qu’ils se déplacent dans le paysage. C’est une approche cinématique : nous ne sommes pas limités par la statique du théâtre. On a réalisé la débandade des gnous de la même manière. Le paysage tourne sur un rouleau et des marionnettes courent au-dessus. Au fur et à mesure qu’elles avancent vers le public, elles sont de plus en plus grandes. C’était la partie amusante dans ma recherche de mise en scène.

Photos : Alexandre ROSA – Dessins préparatoires Copyright Disney/Julie Taymor
Retranscription et traduction par Alexandre ROSA

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